Septembre 2003. A minuit, après un dîner bien tranquille avec mes amis belges de passage à Anthony, je monte sur mon scooter 80 pour rentrer à Paris. Il pleut un peu. Mon projet est simple : quelques kilomètres pour rejoindre le périf que je suivrai jusqu'à la porte de Bagnolet. En suite, Gambetta, Pyrénées et hop, au lit. Temps total estimé: 30 minutes à tout casser.
Il pleut, mais heureusement je possède un poncho Go Sport. Il est un peu déchiré alors je décide de le porter devant-derrière. En l'enfilant, je le déchire un peu plus, mais il semble tenir. La capuche sur le menton, je commence à rouler et mes lunettes se couvrent de gouttes. Je vais doucement. Je n'ai rien bu, ça aide.
La pluie s'intensifie à l'approche de Paris et je peine à me concentrer sur le trajet. Porte d'Orléans, je passe sous un panneau "Bordeaux-Nantes" sans sourciller. Ce n'est qu'un kilomètre plus tard que je réalise que je ne suis pas sur le périf mais sur l'autoroute du sud. Furax, je crie "putain de merde", la pluie redouble et se transforme en grêle. Je ne vois plus rien, je m'insulte, les camions me doublent à 300 à l'heure en klaxonnant, la tempête se transforme en typhon.
Je commence à paniquer en imaginant la distance qui me sépare de la prochaine sortie (Bourg en Bresse? Mâcon?!). Passant sous un énorme pont, je profite de l'absence de pluie pour nettoyer mes lunettes avec les doigts. Alors, je vois un scooter arrêté sur la bande d'arrêt d'urgence, et un type dessus. Je me dis qu'il n'est pas con, il attend à l'abri que la pluie se calme... je décide instantanément de m'arrêter aussi. Mais j'ai déjà quitté le pont.
Là, ça se précipite. Freinage en douceur pour ne pas déraper, j'approche de la bande d'arrêt un peu vite et réalise trop tard que c'est plutôt un trottoir, c'est à dire surélevé. Comme je l'attaque de biais et non de face, comme la route est trempée, ma roue refuse de franchir le trottoir et reste dans l'ornière. Le scooter se couche. Moi aussi mais plus loin. Dans l'eau. Sous les yeux du type pas con qui ne bouge pas. Je me relève, lève le scoot et le tire vers le pont pour m'abriter, en constatant que la roue avant va à gauche lorsque je lui demande d'aller à droite. J'ai l'impression de conduire en regardant un miroir. Le type me regarde passer devant lui, nous nous faisons un signe de tête. Peut-être ne m'a-t-il pas vu tomber...
Il s'approche et me demande du feu. Sidéré, je le regarde. Yeux vides, air vide, costume, chemise blanche, oreillette, scooter 250 de cadre. Je lui donne du feu. Ma main droite me fait mal. Ah oui, elle saigne, j'ai dû freiner avec. Bon c'est rien. Le scoot... je parviens à remettre la roue dans l'axe sans problème.
Je sors une cigarette pour réfléchir, la porte à ma bouche, sors mon briquet... mais un raz de marée me trempe des pieds à la tête: un camion vient de me frôler et je suis à quelques centimètres d'une flaque géante. Je reste debout en faisant "non" de la tête. Non, ce n'est pas possible, c'est trop. Le type me dit "y a des jours comme ça...". Eh ouais, mon con. Je lui demande s'il connaît la prochaine sortie, il me dit en rigolant "Rungis", mais je ne sais pas si c'est à 3, 10 ou 40 km. Je rigole aussi. Je suis impressionné par la violence de cet endroit. Les autos et les camions, dont le son est décuplé par l'acoustique du pont, semblent se jeter sur moi avec agressivité.
Je regarde mon poncho. Entièrement déchiré, c'est maintenant une vieille bâche. Ou une ex-vieille bâche. J'oubliais, j'ai dans les poches de mon manteau un i-pod et un palm, instruments électroniques d'une grande sensibilité à l'eau. Je dois les protéger avec ma bâche. Posée comme un drap, elle se collera à moi quand je roulerai, j'espère. Je reprends la route à 20 à l'heure, frigorifié et un peu apeuré. Direction Rungis donc.
En fait, ce n'est pas si loin. Quelques kilomètres. Je sors de l'autoroute et débarque dans une sorte de port, avec des péages et des entrepôts partout. Mais pas un panneau Paris. Je me promène quinze minutes dans cet endroit splendide avant de voir une direction Creteil. C'est toujours ça. En suite, je ne sais plus bien, je m'assoupis... La francilienne, Charenton, L'hay les roses, L'autoroute A quelque chose, la porte de Bercy, le périf, la porte de Bagnolet, Gambetta, Pyrénées, et hop, merde, je boite. J'ai trois hanches dont deux du même côté. Non, elle n'est pas cassée, mais elle a doublé de volume. J'aurai un gros bleu demain et un énorme marron après demain.
Temps total : une heure trente. Distance parcourue : au moins cinquante kilomêtres.
Je me sers un whisky (je suis un aventurier) et me jette dans le canapé, c’est à dire par terre puisque je n’en ai pas.
On est bien chez soi.
La route, la nuit, un cauchemar, par une porte manquée, une autoroute fermée et on se retrouve perdue dans une banlieue, déserte de surcroît, à chercher des panneaux inexistants, à mettre ses feux de détresse s'arrêtant n'importe où, hélant un passant pour demander son chemin, essayer de retenir la direction de la route qu'il vous indique (alors qu'on est fatiguée et très énervée), j'ai donné, je compatis, oh oui qu'est ce qu'on est bien chez soi !
RépondreSupprimerKco