Je me suis endormi dans un lit à Clermont-Ferrand et réveillé dans le même lit à Nancy. Diable, mais que... Je vous entends d'ici, ça vous la coupe. Ne nous emballons pas, laissez-moi vous expliquer comment et pourquoi, en ce moment, mon moyen de locomotion et ma chambre ne font qu'un.
Voilà, en ce moment, je vis dans un tour-bus. Il s'agit d'un bus classique bien qu'allemand, dont l'intérieur a été totalement remanié en un mini-hôtel à l'usage des intermittents du spectacle en tournée. Douze couchettes, un salon calme, un salon télé dvd, un wc, une bouilloire, un frigo, et un poste de pilotage, quand même. Un bijou de miniaturisation ! Comme vous pouvez voir sur le petit dessin ci-joint, le couloir n'a pas bougé, il est d'origine. Le reste a été sérieusement bricolé. Les couchettes sont réparties autour dudit couloir et vont deux par deux, l'une sur l'autre. Elles mesurent environ deux mètres de long sur un mètre de large sur soixante centimètres de haut, ce qui est peu, très peu. Elles ferment grâce à un simple rideau rouge. Pour l'intimité, on a vu mieux. Dedans, une couette, un oreiller, une lampe, une prise, et un mini-filet à bagages fixé à la paroi pour glisser un téléphone, des boules quiès, un ipod ou des chips pour la nuit. La fenêtre est partagée entre la couchette du haut et celle du bas. Elle est recouvrable à l'envi d'un second rideau, gris.
Le chauffeur que nous appellerons Karl (alors qu'il s'appelle Dawid mais je ne trouve pas ça très crédible, Dawid avec un W, et ça ne fait pas très allemand) est allemand. C'est un dur. Il rigole rarement, peut-être jamais, même. Mais il conduit très bien. Il est perfectionniste à un point qui fout un peu la trouille. Ce matin, lorsque je lui ai dit « Bravo Karl, you drive very well, it's great », savez-vous ce qu'il m'a répondu ? «no, this night bad, I not good, normally you put a egg on table, it not move ! ». Waou. Faut pas le faire chier, lui. Remarquez, il vaut mieux ça qu'un mec qui fume des joints et qui picole en conduisant... Et puis il faut reconnaître qu'il a la vie dure. Imaginez, Clermont-Nancy en une nuit avec derrière son dos 12 intermittents ronflant comme des veaux. Puis Nancy-Lille, puis Lille-Brest, puis Brest-Bruxelles puis Bruxelles-Caen puis Caen-Orléans puis Orléans-Nantes et pour finir Nantes-Paris. À chaque fois, une nuit, pas plus - et pas moins - pour réussir. La journée pour dormir... pas fastoche.
Donc une heure ou deux après la fin du concert, nous remontons dans notre hôtel roulant et finissons la soirée entre nous, techniciens, musiciens et chanteuse, dans le salon du fond, à 90 à l'heure. Enfin rassasiés d'humour, suffisamment abrutis pour réussir à dormir, les uns après les autres, nous nous éclipsons en se souhaitant bonne nuit. Il s'agit alors de se changer debout dans le couloir (enlever un pantalon à pleine vitesse sur l'autoroute n'est pas à la portée de n'importe qui), de glisser les chaussettes malodorantes au fond des chaussures et ces dernières sous la couchette (du bas) et d'aller à la toilette. Les wc-lavabos sont tellement petits qu'on peut aisément tout y faire en même temps.
Il est, disons, deux heures trente. Nous voilà allongés sur la couchette. Si tout va bien, on s'endort en douceur, bercés par le moteur. On se réveille comme une fleur dans une autre jolie ville, attirés par l'odeur du café. Mais en ce qui me concerne, le scénario peut être un peu différent. Notamment la première nuit d'une tournée.
Exemple vécu.
La nuit commence mal. J'écoute de la musique en aléatoire sur mon ipod pour me détendre et je tombe sur Scelsi, compositeur italien du XXe dont la musique serpente entre justesse et fausseté. À cet instant, j'ai plutôt l'impression qu'on me scie les dents. Stress et saignement de nez.
Il fait huit cent degrés dans ma couchette. Je suis allongé presque nu, sur le ventre. Puis sur le dos. Enfin sur le côté droit. Gauche. Ventre. Dos. Droit. Gauche. Ventre. Dos. Jusqu'à m'assoupir quelques secondes, le temps de faire cet affreux cauchemar : nous dévalons à 160 km/h une forte pente et Karl s'est endormi. Je me réveille en sursaut, et me cogne la tête (60 cm) tout va bien, Karl conduit bien, l'œuf n'a pas bougé, du moins j'espère. Non, t'inquiète. Hmm. Je vais voir quand même. Mais non dors. J'y arrive pas. Ventre. Dos. Droit. Gauche. Ventre. Dos. Droit. Gauche. Je m'endors. Trois secondes. Tiens on s'arrête. Karl est tenu de s'arrêter trente minutes toutes les x heures. Bon, je m'endors.
Il fait moins vingt. Je rêve que je suis nu sur la banquise et que ma couette est en neige. On démarre. Je me réveille. Je me rendors. Banquise. Je me réveille, mets un t-shirt et un pantalon. Je m'endors. On tourne à droite, je me cogne la tête à la fenêtre. Virage ? Freins ? On a quitté l'autoroute, alors ? Oui, j'entends une petite voix nasillarde, un mec de l'équipe guide Karl vers la salle où nous jouons ce soir. Merde, la nuit est finie et je n'ai dormi que cinquante fois une seconde.
Heureusement, dans le catering (resto de la salle), une jeune femme nous accueille en souriant et nous souhaite la bienvenue. Café, viennoiseries, céréales, un peu de douceur. J'ai quand même les boules, je n'ai pas dormi. J'ai veillé toute la nuit sur un œuf.
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